Ahmed Omar Nur a vu la mort de près. Le 21 août, le journaliste et caméraman de M24TV est envoyé en reportage pour couvrir une opération de sécurité visant à mettre fin au siège de l’hôtel Hayat à Mogadiscio, la capitale somalienne, par les shebabs, un groupe jihadiste lié à Al-Qaïda.
Une dizaine de minutes après son arrivée sur place, Ahmed Omar Nur est pris à partie par deux agents du Haramcad, une unité d’élite de la police somalienne, qui tirent à bout portant sur lui, le blessant gravement à la bouche.
“Équipé de sa caméra et de sa carte de presse, Ahmed Omar Nur était déterminé à couvrir cet évènement et à en rendre compte au public, a déclaré Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de RSF. Loin d’assurer sa protection, la police lui a même tiré dessus. Il est la dernière victime d’une violence inouïe visant les journalistes en Somalie. Alors que les deux officiers ont été relâchés et que RSF rappelle aux autorités leur obligation de protéger les journalistes et de mener des enquêtes effectives afin de mettre fin au règne de l’impunité.”
Les agresseurs relâchés et l’enquête refermée
Opéré en urgence à l’hôpital Madina à Mogadiscio, Ahmed Omar Nur a pu rejoindre son domicile après plusieurs lourdes opérations pour extraire la balle de sa mâchoire. Interpellés par la police le jour de l’attaque, les deux agents qui ont tiré sur lui ont été placés en garde à vue dans les locaux du quartier général du département des enquêtes criminelles (CID). Mais, interférant dans l’enquête, des officiers supérieurs du Haramcad sont parvenus à obtenir leur libération et la fermeture de l’enquête avant même que le CID n’ait pu déterminer la nature de leur acte.
À la demande d’Ahmed Omar Nur et avec le soutien de son père, l’Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ) – organisation partenaire de RSF en Somalie –, a déposé une plainte auprès du bureau du procureur spécial chargé d’enquêter sur les crimes commis contre les journalistes.
“Nous sommes consternés et préoccupés par cette attaque perpétrée par des agents des services de sécurité, visant un journaliste qui était clairement identifiable par son équipement en tant que membre de la presse. Cette attaque en plein jour est d’autant plus inquiétante qu’il n’y avait pas de combat actif au moment où elle est arrivée au journaliste qui ne portait qu’une caméra de télévision et ne représentait aucune menace pour quiconque”, a commenté le secrétaire général de NUSOJ, Omar Faruk Osman.
RSF soutient la plainte déposée, et se joint au NUSOJ pour demander que le département des enquêtes criminelles se saisisse de cette affaire. Le classement de l’affaire et la libération prématurée des auteurs présumés constituent un cas flagrant d’impunité. Une procédure d’enquête transparente et indépendante doit être ouverte afin d’établir les circonstances de cette attaque et d’identifier les coupables.
Climat délétère et hostile pour la presse nationale et internationale en Somalie
La récurrence et l’intensification des actes de violence contre les journalistes témoigne du climat d’hostilité dans lequel ils exercent leur métier en Somalie. La région autonome du Puntland et le Somaliland, territoire autoproclamé indépendant, sont les régions les plus dangereuses de la zone pour les médias. Au mois d’avril 2022, 14 journalistes ont été interpellés lors d’une vague d’arrestations massives et trois d’entre eux ont été inculpés sur la base de charges surréalistes et montées de toutes pièces. Les médias internationaux sont également la cible fréquente d’attaques. Le 19 juillet, le gouvernement du Somaliland a interdit la diffusion de BBC World News. La police avait ensuite arrêté les journalistes de la chaîne britannique, dont le chef du bureau de Hargeisa, alors qu’ils travaillaient.
La Somalie occupe la 140e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2022 établi par RSF.