Salah Nasser
Des femmes à Khartoum brandissent les photos d’êtres chers qui sont morts lors de manifestations au Soudan.
7 mars 2022
Au moins 85 manifestants anti-putsch ont été tués au Soudan depuis le coup d’État du 25 octobre, a annoncé lundi la cheffe des droits de l’homme de l’ONU, relevant qu’un « large éventail de violations des droits de l’homme » a été documenté dans un « contexte d’impunité totale ».
« Des sources médicales crédibles rapportent que 85 personnes, dont une femme et 11 enfants, ont été tuées, selon un décompte établi le 3 mars », a déclaré la Haute-Commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet lors d’un dialogue interactif du Conseil des droits de l’homme sur la situation au Soudan.
Ces personnes ont été tuées à la suite d’un « usage disproportionné de la force par les forces de sécurité lors des manifestations ».
L’ONU s’est également dite préoccupée par le « nombre massif » de violations des droits des enfants directement liées aux récentes manifestations.
À la fin du mois de février, l’ONU avait vérifié plus de 200 violations, dont au moins une dizaine d’enfants tués et des dizaines d’autres blessés, ainsi que l’arrestation et la détention d’enfants ayant participé aux manifestations.
Depuis le coup d’État, le 25 octobre dernier, du chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, les manifestants demandent justice pour les dizaines de personnes tuées par la répression du nouveau régime. Des milliers de personnes continuent toujours de descendre dans les rues au Soudan pour réclamer leurs droits.
Au moins 144 femmes et 148 enfants arrêtés
Dans le même temps, il y a une persistance de l’usage excessif de la force. Selon la cheffe des droits de l’homme, des balles réelles et des armes offensives telles que des mitrailleuses et des fusils à pompe sont utilisées directement contre les manifestants. Des grenades lacrymogènes ont été tirées comme armes sur la tête ou le corps des manifestants, « en violation flagrante du droit international ».
Dans cette ambiance répressive, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées en marge de ces manifestations anti-putsch, entre le 25 octobre 2021 et le 3 mars 2022. Le Bureau conjoint des droits de l’homme de l’ONU rapporte que plus de 1.000 personnes dont 144 femmes et 148 enfants, ont été arrêtées pour s’être opposées au coup d’État.
« Nombre des personnes arrêtées et détenues ont été soumises à des mauvais traitements au moment de leur arrestation », a ajouté Mme Bachelet, rappelant n’avoir aucune information sur le sort de « trois personnes arrêtées ».
Si elle a salué la libération de 115 personnes la semaine dernière lors de la visite de l’expert indépendant, Adama Dieng, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU note que ces arrestations sont utilisées comme une « punition » pour les populations exerçant leurs droits à la réunion pacifique. Les plus ciblés par ces arrestations arbitraires et ces détentions sont les organisateurs de manifestations et des manifestants de premier plan.
Salah Naser
Des manifestations au Soudan ont eu lieu à Khartoum et dans d’autres parties du pays.
Un retournement brutal des acquis en matière des droits de l’homme
Ces derniers sont arrêtés pendant les manifestations, mais aussi à leur domicile ou, dans certains cas, dans les hôpitaux. Or depuis le coup d’État, les forces de sécurité soudanaises, y compris le Service des renseignements, se sont vu accorder « des pouvoirs d’application de la loi et une immunité temporaire de poursuites ».
Par ailleurs, Mme Bachelet a dénoncé les 25 allégations de viols, de viols collectifs et d’autres formes de violence sexuelle contre des femmes, des filles et des hommes depuis le 25 octobre 2021.
Ces « attaques effroyables » semblent également avoir pour but de dissuader et d’empêcher les manifestants – les femmes et les jeunes filles en particulier – d’exprimer publiquement leurs opinions. « Elles se déroulent également dans un contexte d’impunité persistante », a dit la Haute-Commissaire.
Plus largement, l’ONU s’est alarmée du « retournement brutal des acquis » en matière de droits de l’homme à la suite du coup d’État militaire au Soudan en octobre dernier. Selon Mme Bachelet, le coup d’État du 25 octobre 2021 a de nouveau plongé Khartoum dans une « crise profonde ». « Les deux années de progrès en matière de réformes institutionnelles et juridiques que le Soudan avait accomplies depuis 2019 sont en train de s’effriter », a regretté Mme Bachelet.
Le Soudan prêche la voie du consensus pour arriver à une transition démocratique
D’une manière générale, la présente crise politique au Soudan a provoqué des « reculs extrêmement inquiétants en matière de droits de l’homme ». Dans ces conditions, Mme Bachelet souligne l’urgence de rétablir une administration civile centrée sur la démocratie et l’État de droit.
« Mais pour qu’un règlement politique tienne durablement, il doit être centré sur le respect des droits de l’homme et la reddition des comptes », a conclu Mme Bachelet, relevant que cette « demande fondamentale du peuple soudanais ne doit pas rester lettre morte ».
Face à ce sombre tableau décrit par l’ONU, la délégation soudanaise a réitéré sa volonté d’enquêter sur toutes les allégations de violations des droits humains. De plus, « tous les détenus politiques ont été libérés à l’exception de ceux recherchés dans les affaires pénales en cours d’instruction », a affirmé le ministre de la Justice par intérim, Mohamed Saeed Al-Hillo.
Plus globalement, Khartoum a réaffirmé son attachement à la transition démocratique et entend y parvenir par « un dialogue continu avec toutes les forces politiques ». L’objectif est de parvenir à un consensus qui conduise à la tenue d’élections libres et équitables à la fin de la période de transition. A ce sujet, le Soudan accueille favorablement « toutes les initiatives internationales qui renforcent la possibilité de parvenir à un consensus national ».