Voilà bientôt 4 mois que John Unzima, journaliste pour New Vision, journal anglophone public phare de la presse ougandaise, est contraint de vivre dans la clandestinité, loin de chez lui. Dans un message audio partagé le 31 décembre dernier sur le groupe WhatsApp Les amis de Zoka, qui réunit des activistes environnementaux pour la protection de la forêt du même nom, on peut entendre deux responsables politiques locaux, identifiés par le journaliste comme Amacha Goli, et Titus Joogo, se liguer contre le journaliste d’investigation. Dans cet enregistrement, tous deux se promettent de corriger le journaliste “à la manière de Museveni” (président de l’Ouganda depuis 1986, et considéré par RSF comme un prédateur de la liberté de la presse).
Les tentatives du journaliste pour signaler ces propos menaçants à la police locale d’Adjumani, où il vit au nord-ouest de l’Ouganda, se sont soldées par un échec. Selon son témoignage, le département des enquêtes criminelles de la police de Kampala vers lequel il s’est par la suite tourné aurait même souligné qu’il n’y avait “pas d’éléments criminels dans l’enregistrement pouvant contrevenir à la loi”. RSF a pu consulter la plainte déposée par John Unzima le 11 janvier et dans laquelle il détaille l’affaire. Contactés par notre organisation, ni l’officier du département des affaires criminelles en charge de l’affaire à Kampala, ni le porte-parole de la police ougandaise n’ont souhaité expliquer pourquoi rien n’avait été fait pour interroger les auteurs présumés de ces menaces.
Les enquêtes du journaliste sur la destruction de cette réserve forestière située dans le nord du pays, dérangent de plus en plus. A plusieurs reprises, le journaliste a dénoncé l’impact du changement climatique, dû aux pratiques environnementales destructrices des investisseurs forestiers sur les petits exploitants agricoles locales. Ses articles ont été mal accueillis par les industriels incriminés, qui ont pris pour habitude de riposter par des menaces et des intimidations, sans que la police locale intervienne. L’année dernière déjà, il avait été la cible des menaces du général Moses Ali, deuxième vice-premier ministre ougandais, après avoir révélé, dans un article pour le Sunday Vision, le trafic d’influence de la famille de ce dernier et de ses associés, dans l’obtention d’une licence d’exploitation minière.
“Nous condamnons fermement ces menaces et l’absence totale de réaction de la police ougandaise pour y mettre fin, déclare Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. Il est ahurissant que les responsables présumés de ces menaces puissent vaquer tranquillement à leurs activités pendant que le journaliste est contraint de se cacher.”
Il est fréquent que les journalistes ougandais menacés qui se tournent vers la police se heurtent à une absence de réaction appropriée, à la lenteur ou à l’opacité des procédures, ce qui finit par les décourager.
Loin d’être un cas isolé, le récit de John Unzima met en exergue la recrudescence des attaques envers les journalistes environnementaux. En 2021, le matériel d’une autre journaliste de New Vision, Agnes Nantambi avait été confisqué après qu’elle a publié des articles sur la destruction de la forêt de Bugoma dans l’ouest du pays. Il y a deux ans, John Unzima et son confrère Iceta Scovin, journaliste au Daily Monitor et à NTV, avaient été arrêtés et retenus par l’armée ougandaise (UPDF), alors qu’ils documentaient une opération de lutte contre une exploitation forestière illégale à Moyo. Suite à la publication de cette enquête, un commissaire local incriminé avait ordonné la détention des deux enquêteurs afin d’effacer leurs preuves.
A l’occasion de la COP 26 de Glasgow en 2021, RSF et plus de 60 journalistes avaient lancé un appel enjoignant les dirigeants à faire respecter le droit à l’information sur l’environnement.
En 2022, l’Ouganda occupe actuellement la 132e place au Classement mondial sur la liberté de la presse 2022 publié par RSF.