Les pays déjà sous pression en raison des retombées économiques de la pandémie de Covid-19 risquent de connaître les mêmes troubles économiques et la même misère humaine que le Sri Lanka, alors que la guerre en Ukraine se prolonge. A moins que la communauté internationale n’accepte des mesures financières radicales pour aider les pays criblés de dettes, a déclaré l’ONU ce jeudi.
« Nous assistons à une série d’événements tragiques au Sri Lanka qui devraient servir d’avertissement à tous ceux qui pensent que c’est aux pays eux-mêmes de trouver une solution à cette crise », a déclaré Achim Steiner, Administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), en référence au défaut de paiement de la dette du pays d’Asie du Sud le mois dernier – le premier de son histoire.
« Ce défaut de paiement signifie essentiellement que le pays n’est plus en mesure de payer – ou non seulement d’assurer le service de sa dette, mais aussi d’importer les éléments fondamentaux qui font vivre une économie, qu’il s’agisse d’essence, de diesel, de carburant ou de médicaments », a ajouté M. Steiner.
Cet avertissement est intervenu alors que de nouvelles données de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indiquent que le nombre de personnes touchées par la faim dans le monde est passé à 828 millions en 2021, soit une augmentation d’environ 46 millions depuis 2020, et de 150 millions depuis l’apparition du coronavirus.
Choc après choc
S’exprimant lors d’une séance d’information virtuelle à l’ONU à Genève pour signaler une série de recommandations politiques que les pays pourraient suivre pour résister à la crise alimentaire, énergétique et financière mondiale, l’économiste principal du PNUD George Gray Molina a noté que de nombreux pays avaient fait face à 36 mois de « choc après choc » : d’abord la COVID-19, puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février. Cette invasion en particulier a ébranlé les approvisionnements alimentaires et énergétiques mondiaux et déclenché une poussée inflationniste.
« Les effets de la Covid sur le marché du travail, les salaires, les confinements se sont lentement cumulés, avec un fort impact au fil du temps », a déclaré M. Molina. « Les estimations officielles font état d’environ 125 millions de personnes tombant dans la pauvreté en 18 mois environ… ce que nous avons constaté à l’heure actuelle, c’est que trois mois d’inflation ont plongé environ 71 millions de personnes dans la pauvreté ».
Si les gouvernements ne prennent pas de mesures décisives et radicales, ils risquent de déclencher des troubles généralisés, a suggéré le chef du PNUD.
Quand la douleur déborde dans les rues
« Très rapidement, nous pourrions voir également avec les perspectives économiques troublantes une situation où, pour de nombreux pays, la patience et la capacité des gens à faire face à cette réalité s’épuisent. Et comme je l’ai souvent dit, lorsque la politique sort de nos parlements, de nos gouvernements, pour aller dans la rue, nous sommes dans une situation fondamentalement différente. Nous sommes très vulnérables à l’heure actuelle et nous risquons de voir ce type d’évolution se produire dans de nombreux autres pays », a ajouté M. Steiner.
Soulignant certaines des recommandations de politique financière qui sont détaillées dans le nouveau rapport du PNUD, il a insisté sur le fait qu’il pourrait être possible pour certains pays de s’attaquer à l’inflation galopante sans recourir à l’ « instrument brutal » que constitue l’augmentation des taux d’intérêt.
« Il est possible, par l’intermédiaire des banques d’investissement multilatérales, par exemple en versant davantage de capitaux, de leur permettre de fournir des prêts ciblés et des mesures de réponse aux crises », a-t-il déclaré, ajoutant que le Fonds monétaire international (FMI) pourrait également être impliqué dans ce processus.
Il existe « des moyens par lesquels les pays peuvent répondre plus spécifiquement à leurs besoins », a poursuivi l’Administrateur du PNUD, qui « ne doivent pas nécessairement être en contradiction avec les mesures de pression inflationniste » actuellement mises en place par les banques centrales.
« Points chauds » dans les Balkans, la région de la mer Caspienne et l’Afrique subsaharienne
Selon le rapport du PNUD, l’impact de la crise alimentaire, énergétique et financière sur la pauvreté mondiale a été « radicalement plus rapide » que le choc de la pandémie de COVID-19.
L’analyse de 159 pays en développement dans le monde indique que la flambée des prix des principaux produits de base a déjà eu « des effets immédiats et dévastateurs sur les ménages les plus pauvres ».
Selon le PNUD, des points chauds sont clairement apparus dans les Balkans, la région de la mer Caspienne et l’Afrique subsaharienne (en particulier la région du Sahel).
Le rapport s’intéresse également aux informations fournies par les deux notes du Groupe de réponse à la crise mondiale du Secrétaire général de l’ONU sur les effets de la guerre en Ukraine.
Certains pays risquent de « se découpler définitivement de l’économie mondiale »
La clé de la reprise mondiale sera la reconnaissance du fait qu’il est dans l’intérêt de tous d’aider les pays qui sont aux prises avec des réserves budgétaires épuisées et des niveaux élevés de dette souveraine, ainsi qu’avec la hausse des taux d’intérêt sur les marchés financiers mondiaux, a insisté M. Steiner.
« Une flambée des prix sans précédent signifie que pour de nombreuses personnes à travers le monde, la nourriture qu’elles pouvaient se permettre hier n’est plus accessible aujourd’hui », a-t-il dit. « Cette crise du coût de la vie fait basculer des millions de personnes dans la pauvreté, voire la famine, à une vitesse vertigineuse, et la menace d’une augmentation des troubles sociaux s’accroît de jour en jour ».
Parmi les temps forts du rapport du PNUD figure l’avertissement selon lequel certains pays en développement risquent de « se découpler définitivement de l’économie mondiale ».
Des mesures convenues au niveau international « peuvent couper l’herbe sous le pied de ce cercle vicieux économique » et sauver des vies et des moyens de subsistance, a insisté M. Steiner, dont l’agence a également recommandé des « transferts monétaires ciblés », plus équitables et plus rentables que les subventions énergétiques générales, qui « profitent de manière disproportionnée aux personnes les plus riches ».
Mais des bouleversements sismiques du système financier international seront également nécessaires pour que les pays à revenu faible ou intermédiaire puissent se redresser, a suggéré l’Administrateur du PNUD. « Il faut également être plus intelligent et le FMI a initialement mis en place certaines des réponses à la COVID; la plupart des pays en développement n’ont finalement pas osé emprunter contre ces mesures car les agences de notation les auraient immédiatement déclassées ».