Les audiences dans le procès opposant la société ABC à M. Ahmed KANTE se poursuivent devant le tribunal, marquées par les plaidoiries des différentes parties et les réquisitions du ministère public. Ce litige, centré sur des accusations d’abus de confiance et de concurrence déloyale dans le contexte de la création de la société GIC, promet de faire date.
La société ABC, qui n’a jamais opéré en Guinée ni dans le secteur minier ailleurs, ni présenté de bilan d’activités, reproche à M. KANTE, aujourd’hui administrateur général d’AGB2A-GIC, d’avoir exploité des éléments de son projet. Toutefois, les avocats de M. Alexander ZOTOV, représentant d’ABC, s’appuient principalement sur une rhétorique discursive plutôt que sur des preuves documentées et juridiquement valides.
À l’inverse, les conseils de M. KANTE ont mis en lumière le parcours autonome de GIC depuis sa création, soulignant son développement progressif sans l’intervention de M. ZOTOV. Ils ont également relevé les multiples difficultés que l’entreprise a dû surmonter, souvent causées par des acteurs étrangers au projet et à la Guinée.
Avec près de 2 700 employés, des relations harmonieuses avec les communautés locales, et un respect scrupuleux des obligations fiscales et parafiscales, AGB2A-GIC illustre une réussite entrepreneuriale nationale. L’administrateur, en dépit des attaques, a tenu bon tout au long du procès. Ne dit-on pas que celui qui est dans son droit n’a rien à craindre des accusations infondées ?
Les arguments de la partie civile (ABC)
Maîtres SOUMAH et Alkaly Mohamed TOURE, avocats d’ABC, soutiennent que M. KANTE, engagé comme consultant après son départ de la SOGUIPAMI, a eu accès au projet d’ABC grâce à une transmission directe opérée par M. ZOTOV. Selon eux, la société GIC, fondée en 2019, repose sur des éléments constitutifs du projet d’ABC, ce qui constituerait un cas manifeste de concurrence déloyale.
Ils affirment également que des investissements, évalués entre 36 et 50 millions de dollars US, ont été réalisés, et mentionnent des procédures parallèles ouvertes devant la CRIEF et le Tribunal du commerce. Sur cette base, ils demandent la condamnation de M. KANTE au paiement de 36 millions de dollars, hors dommages et intérêts.
Réquisitions du ministère public
Le parquet, reprenant l’argumentaire de la partie civile, estime que M. KANTE a abusé de la confiance de M. ZOTOV à des fins personnelles. Il a qualifié les faits de « banditisme intellectuel », en soutenant qu’une idée peut constituer un bien susceptible d’abus de confiance. Une peine de trois ans de prison ferme assortie d’une amende de 30 millions de GNF a été requise.
Fait notable : ce n’est pas le procureur ayant suivi l’ensemble du procès qui a présenté les réquisitions, mais un autre représentant du ministère public.
Une défense structurée et argumentée
Les avocats de la défense — Maîtres Aboubacar Sidiki KANTE, Séréba Mory KANTE et Sékou FOFANA — ont rejeté catégoriquement l’ensemble des accusations, en soulignant l’absence totale de preuves.
Ils ont rappelé que M. KANTE n’entretenait aucun lien juridique avec ABC avant et/ou après le 5 novembre 2018, date de création officielle de la société, et qu’aucune remise de projet n’avait été documentée. En l’absence de documents signés ou de preuves matérielles, ils estiment que les accusations reposent sur des spéculations infondées.
Ils ont aussi remis en cause la véracité des montants d’investissement évoqués par ABC, qualifiés d’exagérés et invérifiables. Comment peut-on prétendre avoir investi entre 30 et 50 millions de dollars sans qu’aucune trace tangible n’en existe ? Où sont les justificatifs ? Quels documents viennent attester de ces prétendus investissements ?
La défense a souligné qu’ABC ne disposait d’aucune autorisation, de permis ou de licence d’exploitation, et qu’ABC n’a aucune existence sur le territoire guinéen et n’exerce aucune activité pour prétendre être victime d’une concurrence déloyale.
Ils ont exposé, avec des documents à l’appui, les causes réelles de l’échec ou de l’effondrement de ce qu’ils appellent « château de sable », d’ABC. Il s’agit d’une correspondance de l’avocat même d’Alexander ZOTOV, gérant de la société ERM, dénonçant l’imposture et les actes de concurrence déloyale posés par ZOTOV. Il s’agit également des différentes décisions de l’Administration minière suspendant toutes les amodiations qui étaient délivrées, non pas à ABC, mais à ERM.
La défense a conclu qu’Ahmed KANTE n’en est pour rien dans cet effondrement.
La défense a rappelé, pour ce qui est de l’abus de confiance, qu’il ne saurait y avoir d’abus de confiance sans remise, ce que le parquet et la partie civile n’ont pas pu trouver. Il n’y a eu aucune remise faite à Ahmed KANTE à titre précaire, c’est-à-dire à charge pour lui de restituer ou d’en faire un usage déterminé.
Par ailleurs, les avocats ont souligné que M. KANTE n’est pas associé de GIC et qu’au moment des faits il n’en était pas le gérant ; et que les différentes procédures intentées n’ont donné lieu à aucune poursuite concrète. Ils ont également critiqué la virulence du ministère public, qualifiant son réquisitoire d’acharnement politique et dénué de fondement juridique.
Un enjeu national en toile de fond
Il revient désormais au tribunal d’évaluer les faits, les pièces produites et la qualification juridique des actes incriminés. Cette affaire soulève cependant une question plus large, fondamentale pour l’avenir économique du pays : si les Guinéens eux-mêmes ne peuvent bénéficier d’une protection suffisante pour entreprendre dans le secteur minier — pourtant le plus stratégique du pays —, qui le fera à leur place ?
Un citoyen guinéen pourrait-il revendiquer, dans le pays d’un M. ZOTOV, des droits similaires fondés uniquement sur de prétendues promesses ou des échanges verbaux, fondés uniquement sur la version un obscur individu, qui n’a rien réalisé dans le secteur minier ? Depuis le lancement de l’exploitation minière en Guinée, aucune entreprise dont le capital social est entièrement contrôlé par des Guinéens n’avait réussi à s’imposer dans l’extraction et l’exportation de bauxite. Est-ce une raison suffisante pour tenter de briser cet élan ? Ou s’agit-il d’une volonté de maintenir la Guinée dans un état de dépendance et de précarité économique ? À méditer…
Aboubacar Soumah