La Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA) a besoin de moyens pour bien remplir son mandat dans un contexte sécuritaire difficile, a souligné le chef de la mission, El-Ghassim Wane, dans un entretien avec ONU Info.
Lundi, devant les membres du Conseil de sécurité à New York, M. Wane a fait le point sur la situation politique et sécuritaire dans ce pays ainsi que sur l’état de la mise en œuvre du mandat de la MINUSMA. Il a qualifié la situation sécuritaire d’« instable » et même de « particulièrement préoccupante » dans la zone des trois frontières et dans le Centre du Mali.
Au micro d’ONU Info, il a développé les éléments présentés au Conseil. Bien que la tâche soit complexe, « notre détermination est forte », a-t-il insisté.
ONU Info : Où en est-on concernant la situation politique et sécuritaire dans le pays ?
El-Ghassim Wane : Je dirais que la situation reste complexe, difficile. Mais des efforts sont également en cours pour surmonter les défis auxquels le Mali est confronté. Si je me concentre un peu sur les aspects politiques, je dirais qu’en ce qui concerne la transition qui doit déboucher sur la tenue d’élections qui permettront de restaurer l’ordre constitutionnel, grâce à l’action de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), grâce à l’ action du comité local de suivi de la transition qui inclut la MINUSMA, en plus de la CEDEAO et de l’Union africaine, nous avons pu réduire les différences entre le Mali et la CEDEAO.
Il est vrai que le dernier sommet de la CEDEAO n’a pas acté officiellement une décision sur la durée de l’extension de la transition, mais je suis convaincu qu’on n’est plus très loin de la solution que tout le monde désire et qui devrait ouvrir la voie à la levée des sanctions qui ont été prises contre le Mali du fait des retards qui ont été accusés dans la restauration de l’ordre constitutionnel. Et la MINUSMA a joué évidemment pleinement le rôle qui est le sien dans ce processus.
En ce qui concerne l’accord de paix, qui est la raison première du déploiement de la MINUSMA, je me dois de reconnaître que le processus de mise en œuvre est extrêmement long. Je pense que tout le monde le reconnaît. L’accord a été signé il y a de cela sept ans. Certes, des avancées ont été faites, le cessez-le-feu respecté, un certain nombre de dispositions, d’accords, ont été mis en œuvre. Mais je me dois de reconnaître que les aspects fondamentaux, ce qui constitue le cœur de l’accord, le DDR (démobilisation, désarmement et réinsertion) et les réformes institutionnelles, restent encore à être mis en œuvre.
Et à cet égard, nous travaillons avec d’autres acteurs, notamment l’Algérie, qui assurent la direction de la médiation internationale, à la tenue d’une réunion décisionnelle dite de haut niveau entre les acteurs maliens qui devrait permettre de trancher les questions en suspens. Cette réunion était prévue depuis le mois d’octobre de l’année dernière. Elle a été continuellement reportée mais nous continuons à pousser en vue de sa tenue dans les délais les plus brefs qui soient.
Le dernier volet politique et qui correspond à une des priorités stratégiques de la mission concerne la stabilisation du Centre (du Mali), pour laquelle nous avons été mandatés, d’aider le gouvernement malien à élaborer une stratégie politique qui permettrait d’assurer la stabilisation de cette région qui connaît une violence extrême qui affecte les populations civiles. Le processus est en cours et j’espère bien que la stratégie du gouvernement malien sera adoptée. Evidemment, la stratégie n’est qu’une étape. Le plus dur c’est d’en assurer la mise en œuvre.
Sur le plan sécuritaire, les choses restent extrêmement difficiles dans le nord-est, où malheureusement les civils ont été l’objet d’attaques répétées ces dernières semaines par l’État islamique, mais également dans l’extrême nord du pays où nos Casques bleus ont été attaqués régulièrement, notamment par l’usage d’engins explosifs improvisés. Nous avons perdu des hommes. Le Centre (du Mali) connaît aussi une violence extrême, y compris des attaques contre la mission.
Il y a évidemment des difficultés en ce qui concerne les droits de l’homme. Nous remplissons le rôle qui est le nôtre, qui consiste à enquêter et à rendre compte.
Nous venons juste de publier la dernière note trimestrielle de la mission sur les tendances liées aux violations des droits de l’homme pour la période janvier à mars. Il y a pas mal de sujets de préoccupations. Mais en plus du travail de documentation, nous sommes également engagés dans un dialogue soutenu avec les autorités maliennes pour assurer un meilleur respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
ONU Info : Il y a aussi tout un contexte humanitaire qui continue de s’aggraver. Que fait la MINUSMA face ces défis ?
El-Ghassim Wane : La situation humanitaire est évidemment liée à la situation sécuritaire et je pense que ce qui se passe dans la région de Ménaka est une parfaite illustration où plus de 30.000 personnes ont été déplacées, des centaines de personnes ont perdu la vie du fait des attaques perpétrées par des éléments armés appartenant à l’État islamique.
Mais ailleurs dans le pays, nous connaissons une situation qui est extrêmement difficile. Le Mali compte plus de 360.000 déplacés. C’est le niveau le plus élevé depuis 2015 ou 2013 en fait. Le pays connaît également une situation très difficile du fait du nombre élevé de personnes qui ont besoin d’assistance, 7 millions cette année, comparés à 6 millions l’année dernière ; 2 millions d’enfants et de filles souffrent de malnutrition et, malheureusement, les fonds de financement de l’action humanitaire, n’ont pas atteint, loin de là, le niveau requis. Nous sommes à 11% des fonds requis pour l’année 2022, nous étions à 38% pour l’année dernière, donc une situation humanitaire extrêmement difficile.
Notre contribution en fait, consiste à faciliter l’action humanitaire, notamment en créant les conditions sécuritaires. Mais quelquefois également, là où cela est nécessaire, à apporter nous-mêmes directement une assistance en mettant à disposition nos moyens aériens en particulier.
ONU Info : Vous avez parlé des attaques visant les Casques Bleus. Comment la mission fait face à ces attaques ?
El-Ghassim Wane : D’abord, je voudrais rendre hommage à tous ces Casques bleus qui ont fait le sacrifice ultime. La MINUSMA a malheureusement le triste privilège d’être la mission la plus dangereuse, celle où le plus grand nombre de Casques bleus ont perdu la vie. Et cela démontre évidemment la gravité ou la difficulté de l’environnement opérationnel dans lequel nous évoluons.
Notre rôle, évidemment, consiste aussi à minimiser les risques auxquels la mission est exposée. Certaines mesures sont prises pour les minimiser dans toute la mesure du possible. Malheureusement, le risque zéro n’existe pas et je dois dire ici que certainement un des besoins les plus criants de la mission ce sont les besoins en termes de capacité, en termes d’hélicoptères, pour pouvoir précisément mieux faire face à ces menaces, assurer une meilleure protection de nos Casques bleus, mais également assurer une meilleure protection des populations civiles. Et je voudrais en profiter pour réitérer mon appel aux États membres, à ceux qui sont mesure de le faire, pour assurer la protection des Casques bleus et de notre personnel civil.
ONU Info : Auriez-vous un dernier message ?
El-Ghassim Wane : Je dirais simplement un message pour réitérer d’abord l’engagement de la mission de ses personnels en faveur de la paix, de la stabilité au Mali. La tâche est complexe, mais notre détermination est forte. Et j’ai bon espoir que grâce aux efforts qui sont faits par les acteurs locaux maliens, nous pouvons dans la période à venir accomplir des avancées beaucoup plus rapides que celles qui ont été faites jusqu’ici. Une chose est certaine, le peuple malien aspire désespérément à la paix et c’est la responsabilité des acteurs maliens d’être à la hauteur de cette aspiration.