La colonisation française a introduit un choc fiscal majeur en Guinée, transformant profondément la perception de l’impôt chez les Guinéens et bouleversant l’ordre traditionnel. En imposant un nouveau système fiscal, la colonisation a ébranlé les structures ancestrales du pays. En effet, la France a appliqué en Guinée le même modèle d’administration coloniale qu’elle a instauré dans ses autres territoires africains. Sous l’autorité d’un gouverneur général, le pays fut divisé en vingt-neuf cercles, chacun dirigé par un commandant de cercle. Les chefferies traditionnelles furent remodelées et leur mode de transmission perturbé.
L’administration coloniale ambitionnait d’introduire un système fiscal moderne. Comme l’a souligné le général Galliéni dans ses écrits (Galliéni 1899 et 1900-1902), la fiscalité coloniale française jouait un rôle clé dans l’unification des territoires artificiellement créés par les puissances coloniales lors des conquêtes. L’exploitation des ressources locales visait essentiellement à satisfaire les besoins de la métropole, au détriment des cultures vivrières. En parallèle, les cultures d’exportation, souvent monopolisées par des sociétés françaises, se multiplièrent. Durant cette période, l’utilisation de la monnaie et la généralisation de l’impôt devinrent des éléments centraux du contrôle colonial.
L’héritage fiscal de 1958 à 1983
Le 2 octobre 1958, la Guinée accède à l’indépendance, marquant le début de la décolonisation politique, mais également fiscale. La véritable indépendance nécessitait l’instauration d’une nouvelle culture fiscale fondée sur la souveraineté nationale. Les réformes fiscales qui suivirent avaient pour objectif d’optimiser le rendement des impôts et taxes, surtout face à l’insuffisance des revenus miniers pour couvrir les dépenses publiques.
Avec l’aide de la France et du Fonds Monétaire International (FMI), la Guinée s’engagea dans un processus de modernisation de son système fiscal. En témoigne la promulgation de la Loi n°L/2004/001/AN, adoptée le 26 février 2004, qui instaure le Code général des Impôts de la République de Guinée. Cette loi vise à organiser la collecte des recettes fiscales et à définir l’usage de ces fonds pour soutenir le développement économique du pays.
L’utilisation et la politique fiscale en Guinée
L’impôt, défini comme un prélèvement obligatoire destiné à financer le budget de l’État, joue un rôle central dans le fonctionnement de la Guinée. Selon l’article 1 du Code général des Impôts, il permet de couvrir les dépenses publiques, notamment le fonctionnement des institutions (police, justice, défense), les services publics (éducation, santé, infrastructures) et la redistribution des richesses. L’impôt est également utilisé comme un levier pour encourager ou décourager certains comportements économiques, comme avec les taxes sur les activités polluantes.
Cependant, la politique fiscale en Guinée n’est pas exempte de critiques. Certains impôts, même à faible rendement, sont maintenus pour des raisons de solidarité, tandis que d’autres, plus lucratifs, peuvent être réduits ou supprimés en raison de leur perception comme injustes.
Sources et critiques du système fiscal guinéen
La principale source du droit fiscal guinéen est la loi, notamment la loi de finances votée annuellement par le parlement, ainsi que les conventions fiscales internationales. Le Code général des Impôts, complété par des arrêtés et décrets, constitue la référence pour les contribuables et les autorités. Cependant, l’absence de tribunaux administratifs en Guinée empêche la formation d’une véritable jurisprudence fiscale.
Sont soumises aux lois fiscales guinéennes toutes les personnes physiques et morales ayant leur domicile fiscal en Guinée, qu’elles soient de nationalité guinéenne ou étrangère. Ce domicile peut être déterminé par divers critères, tels que le lieu de séjour principal, l’exercice d’une activité professionnelle ou le centre d’intérêts économiques.
Comme dans tout pays, la fiscalité en Guinée est sujette à des critiques. Le célèbre adage « trop d’impôt tue l’impôt », popularisé par l’économiste américain Arthur Laffer, illustre bien ce point. Lorsqu’une pression fiscale devient excessive, les contribuables cherchent à contourner les règles, soit en utilisant des dispositifs fiscaux avantageux, soit en se tournant vers des paradis fiscaux, ou en réduisant simplement leur activité économique. Cela peut mener à une baisse des recettes fiscales, illustrant l’importance d’un équilibre dans la politique fiscale.
Dr. BAH ALIOU, Inspecteur Principal des Impôts