A l’Assemblée générale de l’ONU, des scientifiques cherchent à éviter les prochaines guerres de l’eau

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UN Photo/Ray Witlin
Le lac Fewa au Népal

On y a appris qu’au cours de l’histoire, les Etats ont plus souvent préféré la coopération à l’affrontement pour cette ressource. Mais le changement climatique et la raréfaction de l’eau attisent aujourd’hui les tensions et exigent une nouvelle diplomatie spécifique, fondée sur la science.

« On dénombre 313 bassins hydrographiques internationaux qui couvrent environ la moitié de la planète, en plus de 600 aquifères transfrontaliers », a rappelé Aaron Wolf, professeur de géographie au College of Earth, Ocean, and Atmospheric Sciences de l’Oregon State University.

Ceux-ci ont occasionné quelque 1.800 incidents internationaux entre les États membres au cours des 60 dernières années, et « en fait, dans les deux tiers des cas, on constate que les nations ont choisi de coopérer ».

« En termes de vraie violence, spécifiquement à propos de l’eau à l’échelle internationale, il y en a eu très peu au cours de l’histoire. Pour trouver des conflits, il faut remonter 4.500 ans en arrière, jusqu’à la seule guerre documentée pour l’eau entre deux pays », a révelé M. Wolf. Ce conflit opposait deux cités-États mésopotamiennes, Lagash et Oumma, dans ce qui est aujourd’hui l’Iraq.

« Mais à mesure que l’eau douce se raréfie, les tensions augmentent », a-t-il constaté.

Même au cours des 50 dernières années, un quart des interactions liées à l’eau ont été hostiles, allant des injures à l’action militaire. L’eau, selon lui, est par nature « émotionnelle », liée à la souveraineté, à l’histoire, au pouvoir et à la vie spirituelle et « cette spécificité de l’eau nous amène à élever la conversation pour aborder ces valeurs fondamentales que nous partageons, et nous permet d’avoir ces conversations difficiles, en reconnaissant qu’il ne s’agit pas seulement d’une ressource économique, mais d’une ressource qui touche toutes nos façons d’être ».

L’universitaire a recommandé la mise en place d’un système de surveillance et d’alerte rapide, ainsi que des mesures préventives, telles que la réduction de la pauvreté et l’amélioration de la  gestion de l’environnement et de l’eau.

Par un matin brumeux, à Madagascar, la rivière Manabovo est complètement à sec, les habitants se rassemblent sur son lit pour creuser des trous dans l'espoir de trouver de l'eau.
© UNICEF/Safidy Andrianantenain
Par un matin brumeux, à Madagascar, la rivière Manabovo est complètement à sec, les habitants se rassemblent sur son lit pour creuser des trous dans l’espoir de trouver de l’eau.

L’eau et le droit

Dinara Ziganshina, Directrice du Centre d’information scientifique de la Commission interétatique pour la coordination de l’eau en Asie centrale, a pour sa part souligné l’importance des commissions et des conventions pour la gestion des questions relatives à l’eau. Elle a noté l’existence de plus de 120 commissions de bassins fluviaux dans le monde, qui fournissent une expertise technique, aident à évaluer les besoins ou élaborer des stratégies, en dépit de leur manque de financement et de l’étroitesse de leurs mandats.

Elle a encouragé les scientifiques, les décideurs, les avocats et les diplomates à travailler ensemble, à l’ONU, « pour transformer un droit international encore fondé sur des coutumes et pratiques passées et à l’adapter aux défis futurs ».

Le Lac Tchad a perdu 90% de son eau en 50 ans
ONU Photo/Eskinder Debebe
Le Lac Tchad a perdu 90% de son eau en 50 ans

Les infrastructures face à la nature

Charles J. Vörösmarty, Directeur fondateur de l’Initiative des sciences de l’environnement au CUNY Advanced Science Research Center à New York, a, lui, proposé de mieux harmoniser les infrastructures en cours de construction avec les écosystèmes. « C’est précisément au moment où nous essayons d’étendre l’utilisation productive de l’ingénierie traditionnelle, que l’environnement se dégrade », a-t-il fait remarquer. Il a cité l’exemple d’un barrage qui fournit de l’hydroélectricité, mais noté que si l’on oublie de contrôler la déforestation en amont cela peut entraîner une érosion progressive des sols qui se déposent dans l’eau.

Il a appelé l’Assemblée générale à recommander la mise en place d’un mécanisme mondial pour la science et la diplomatie de l’eau afin de partager des idées et d’unir la famille des Nations Unies, les agences de l’eau, les décideurs, les ingénieurs et les éducateurs.

« Sinon, nous allons fragmenter nos efforts et nous ne trouverons pas de stratégie solide pour éviter les conflits », a-t-il prévenu.

Science, droit et expertise

Makane Moïse Mbengue, Directeur du Département de droit international public et d’organisation internationale de l’Université de Genève, a noté que la plupart des accords environnementaux, pilier de la coopération dans le domaine de l’eau, n’accordent pas assez de poids à la science et manquent de références à des données scientifiques validées. « Nous devons créer une nouvelle génération d’accords sur l’eau qui considèrent la science comme une partie intrinsèque du pacte », a-t-il souligné.

Il a par ailleurs appelé à associer davantage les experts à la diplomatie de l’eau. « Il peut être coûteux de recourir à la science », a-t-il reconnu, « mais la formation d’experts de l’eau, de diplomates de l’eau, l’effort d’augmentation des capacités dans ce domaine, sont importants, en particulier dans les pays en développement ».

La FAO aide à des projets d'irrigation dans le couloir de la sécheresse en Amérique centrale
FAO/Honduras
La FAO aide à des projets d’irrigation dans le couloir de la sécheresse en Amérique centrale

Sortir de la simple gestion de crise

Quant à Susanne Schmeier, cheffe du département de gouvernance de l’eau et professeure agrégée de droit et de diplomatie de l’eau à l’IHE Delft, elle a préconisé une approche plus proactive de la coopération sur l’eau.

« Pour récolter les bénéfices de cette coopération, nous devons aller au-delà de l’absence de conflit et faire les choses ensemble, passer du mode de gestion de crise à une véritable résilience », a-t-elle suggéré, en recommandant une plus grande participation des universitaires à l’élaboration des politiques et une meilleure communication sur les questions relatives à l’eau.

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