L’adoption d’un nouveau projet de loi criminalisant toute « atteinte à la souveraineté et à l’intérêt national » fait peser de dangereuses menaces sur l’exercice du journalisme au Zimbabwe. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités d’abroger ce texte de loi et de garantir la liberté d’expression.
C’est une loi controversée et dangereuse. Alors que le pays se prépare à aller aux urnes dans deux mois, le 23 août prochain, pour des élections présidentielles et générales, le parti au pouvoir depuis l’indépendance, le Zanu PF, a utilisé sa majorité parlementaire dans la nuit du 31 mai au 1er juin pour faire passer un “projet de loi d’amendement du droit pénal”, aussi appelé “projet de loi patriotique”.
L’article 2 de cette
loi aux contours flous prévoit, entre autres, la peine de mort ou l’emprisonnement à vie de toute personne qui porterait “délibérément atteinte à la souveraineté et à l’intérêt national du Zimbabwe” en participant à une réunion dont le ou la participante a “des raisons de croire” que l’objet “est d’envisager ou de planifier une intervention armée” contre le pays. Si l’objet de la réunion est de “subvertir ou de renverser le gouvernement”, les participants encourent jusqu’à vingt ans de prison. De même, si la réunion porte sur des sanctions ou un boycott commercial contre le pays, la participation est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans.
Ce projet de loi n’épargne pas les journalistes, qui pourraient être condamnés pour avoir simplement couvert ces réunions. La loi ayant été approuvée par le Sénat, il ne manque plus que l’accord du président pour qu’elle entre en vigueur. Ce dernier a trois semaines pour la signer, à partir du moment où il la recevra.
“Les journalistes n’échappent pas à la panoplie de lourdes sanctions prévues par cette loi qui viole la constitution et les standards internationaux en matière de liberté d’expression. Cette loi est un redoutable outil qui va permettre de totalement museler la presse. A deux mois des élections présidentielles, nous demandons aux autorités de respecter les droits humains élémentaires, qui comprennent le droit de réunion, le droit de s’exprimer, et celui d’informer. Les journalistes doivent pouvoir exercer leur travail sans crainte.”
Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Selon Roselyn Hanzi, la directrice exécutive du Zimbabwe Lawyers for Human Rights, organisation de défense des droits humains, le projet de loi “crée un précédent néfaste et dangereux sur le continent”, et pourrait conduire à l’autocensure : « Si un journaliste est invité par un gouvernement étranger à assister à une réunion, il pourrait être contraint de rejeter l’invitation car il ne saura pas si ces questions seront abordées ou pas durant cette réunion. Tout autre participant à la réunion peut soulever ce sujet, et la simple présence du journaliste à cette réunion peut conduire à une arrestation.”
Les nouvelles dispositions du projet de loi sont par ailleurs formulées en termes vagues, donc susceptibles d’être mal interprétées et d’“étouffer la liberté d’expression”, selon Roselyn Hanzi. Certaines des peines prévues pour ce délit sont, par ailleurs, anticonstitutionnelles : l’article 48 de la Constitution stipule que la peine de mort ne peut être imposée qu’aux personnes reconnues coupables de meurtre commis avec des circonstances aggravantes.
Le journaliste critique du gouvernement Hopewell Chin’ono, régulièrement
interpellé et menacé, a
réagi à l’adoption du projet de loi le 31 mai : “C’est un jour très triste pour le Zimbabwe aujourd’hui”, ajoutant que “la liberté d’expression “
n’existe plus” dans le pays.
Le député de la majorité Joseph Chinotimba défend, pour sa part, une loi « honorable et nourrie de bonnes intentions », affirmant que cette loi “ne vise pas à réduire l’existence des partis politiques, mais à encourager les Zimbabwéens à aimer leur pays et cesser de le dénoncer ».
L’arsenal législatif reste très répressif envers la presse au Zimbabwe : les lois abrogées ont été remplacées par d’autres toutes aussi sévères et continuent d’entraver le libre exercice du journalisme. Afin d’éviter les représailles, les journalistes ont régulièrement recours à l’autocensure.