Suspension de l’accès à Internet via les données mobiles, coupure du signal de la chaîne de télévision privée Walfadjri et brutalisation de journalistes : les entraves à la liberté de la presse se multiplient dans le contexte des manifestations contre le report de l’élection présidentielle au Sénégal annoncé samedi 3 février. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités de garantir le droit à l’information et la sécurité des journalistes.
“Les journalistes sénégalais, qui couvrent l’actualité politique et sociale du pays, vivent des moments difficiles depuis au moins deux ans, et plus fortement dans le contexte des échéances électorales. Ils se retrouvent de nouveau la cible d’entraves avec les manifestations liées au report de l’élection présidentielle qui devait se tenir ce 25 février. Couper le signal d’une télévision privée, l’accès au réseau Internet via les données mobiles, et brutaliser des journalistes en reportage sont des entraves inadmissibles au droit à l’information. Nous dénonçons ces attaques et demandons aux autorités d’y mettre un terme sans délai, et de permettre aux journalistes de couvrir l’actualité politique en toute sécurité. »
Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Bis-repetita au Sénégal : le 4 février, le gouvernement a coupé l’accès à Internet via les données mobiles pour la deuxième fois en moins de neuf mois. Le communiqué du ministre de la Communication Moussa Bocar Thiam ressemble tristement à celui publié en juin 2023. Pour justifier cette décision sans consultation aucune, le ministre fait référence à la “diffusion de plusieurs messages haineux et subversifs relayés sur les réseaux sociaux”.
Ce même 4 février, plus tôt dans la journée, trois journalistes ont été brutalisés par les forces de l’ordre alors qu’ils couvraient les manifestations organisées par des candidats de l’opposition pour contester la décision de report de l’élection présidentielle, annoncée par le président Macky Sall la veille. Tous portaient leur gilet siglé presse et détenaient leur carte de presse. Mais les gendarmes n’en ont eu cure. Les reporters du groupe de presse Agora TV Mame Ndack Mbacké et de la chaîne de télévision privée ITV Khadija Ndatté Diouf ont été arrêtées et embarquées dans un véhicule de la gendarmerie, et ont vu leur matériel de travail confisqué, alors qu’elles venaient juste d’interviewer des responsables politiques et des opposants. Elles ont été libérées une trentaine de minutes plus tard. Le correspondant de la chaîne d’information internationale TV5 Monde Clément Bonnerot a lui été visé à deux reprises par des tirs de gaz lacrymogène. “Je marchais seul dans la rue en filmant. Des gendarmes ont tiré dans ma direction pour m’empêcher de filmer”, précise-t-il.
La télévision privée Walfadjri qui organisait un débat en direct en diffusant des images des manifestations, a également vu son signal “temporairement coupé sur décision du ministère de la Communication” dans la soirée du 4 février. Il est reproché à la chaîne de diffuser des reportages des manifestations en direct qui constitueraient une “incitation à la violence”.
Au Sénégal, les journalistes sont fréquemment victimes d’arrestations – une douzaine ont été arrêtés dans l’exercice de leur fonction entre juillet 2022 et août 2023 – et d’attaques, venant tant des forces de sécurité que des acteurs politiques ou de leurs soutiens. Les abus de pouvoir se sont également multipliés, avec notamment une première suspension du signal de Walf TV en juin 2023 et des restrictions de l’accès à Internet et aux réseaux sociaux.
Le Sénégal occupe la 104e place sur 180 pays du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023.