« Au-delà de la Guinée, c’est la sous-région qui sera impactée positivement par ce processus pour contribuer à inverser la courbe de la pauvreté et répondre à l’attente des millions de jeunes… »
Au cours du 11e Sommet annuel de l’Africa CEO Forum tenu du 16 et 17 mai 2024 à Kigali, au Rwanda, le Premier ministre guinéen Amadou Oury Bah a animé un panel portant sur le gigantesque projet Simandou en cours de réalisation dans son pays. Au micro de JeuneAfrique, le Premier ministre guinéen a épluché de fond en comble le Projet Simandou, son impact sur l’économie guinéenne mais aussi pour l’ensemble des pays de la sous-région. Lisez plutôt.
JeuneAfrique : Ça fait presque plusieurs mois qu’on l’attend la signature du projet Guinée consortium Simandou. Pouvez-vous nous dire quand elle interviendra et s’il reste des blocages, quels sont-ils ?
Le Premier ministre, Amadou Oury Bah : Merci, je sais que le closent a été fait il y a à peine trois ou quatre semaines de cela. Donc cela veut dire que pratiquement tout ce qui devrait être fait est fait à l’heure actuelle. Maintenant, il faut qu’on rentre dans une phase opérationnelle plus active.
JA : Vous savez que le thème général de cette conférence, « At the table or on the menu », dans ce thème sous-jacent, est inclus dès que les comment faire pour que les pays africains puissent faire valoir davantage leurs intérêts sur la scène mondiale dans leur contexte géopolitique très particulier aujourd’hui. On le sait, le projet Simandou est un projet qui n’est pas seulement un projet d’une importance économique extrême, mais aussi qu’il y a des considérations géopolitiques autour de ce projet. J’ai évoqué Baowu Steel toute à l’heure. La Chine cherche à diversifier son approvisionnement en fer. Elle ne peut être aussi dépendante de l’Australie. D’un côté, de l’autre côté, les Occidentaux, pour résumer, craignent de voir la Guinée tomber sous l’influence de Pékin. Est-ce que ces considérations, cette rivalité que nous voyons tous sous nos yeux ont joué ? Et comment la Guinée a-t-elle su manœuvrer pour utiliser cette rivalité et faire que Simandou émerge ?
Amadou Oury Bah : Merci, je crois que le monde change. Et en ce qui concerne la Guinée, c’est comme s’il y a l’alignement des planètes. La situation géopolitique est en faveur de la Guinée dans le contexte actuel. Lorsqu’on voit ce qui se passe en Europe de l’Est avec la guerre en Ukraine, ceci a permis de faire émerger une nouvelle conscience aux occidentaux. Notamment aux Européens, sur la nécessité de ne pas être trop dépendant de la Russie, par exemple, dans des denrées comme l’aluminium, comme d’autres minéraux et la Guinée possède ces minéraux. Ça, c’est le premier point.
Le deuxième point, vous devez savoir qu’en Guinée, nous sommes très ombrageux en ce qui concerne notre fibre nationaliste. Nous cherchons à coopérer avec tous les pays du monde, mais dans une relative autonomie et indépendance qui nous permettent, au gré des intérêts du pays, d’être avec celui qui se prête au mieux, au moment présent, à satisfaire les attentes et les intérêts de la Guinée. Et si vous voyez bien comment est le Simandou, cette façon d’amener d’un côté Rio Tinto et de l’autre WCS à coopérer ensemble pour aller dans une phase opérationnelle concernant le Simandou. Ça aussi c’est une prouesse et c’est la volonté du Gouvernement guinéen. Notamment le leadership du général Mamadi Doumbouya, qui a permis d’aller de manière, j’allais dire, à marche forcée dans cette direction. Ceci indique qu’en Guinée, la géopolitique mondiale sert toujours, mais c’est surtout les intérêts spécifiques de la Guinée qui motivent et qui orientent les décisions gouvernementales.
JA : Ce projet pourrait apporter au budget de l’État guinéen plusieurs milliards de dollars, peut-être, vous avez évoqué le chiffre hier, je crois, 2,5 milliards de dollars par an, et irriguer l’ensemble de l’économie guinéenne. Mais, on le sait et les populations africaines le savent et ont connu ce qu’on appelle la malédiction des matières premières qui voit un pays richement doté en ressources tomber dans une économie de rente. Alors, pourquoi la Guinée réussirait aujourd’hui à faire ce qu’elle n’avait parvenu à faire auparavant ? pourquoi la Guinée parviendra-t-elle aujourd’hui ce qu’autant de pays n’ont pas réussi à faire auparavant ?
Amadou Oury Bah : Rendons à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Par exemple, dans ce secteur, il faut saluer les performances d’un pays comme le Botswana qui est sur beaucoup de plans, exemplaire dans sa capacité d’avoir des ressources minières et de les gérer de manière satisfaisante pour ses intérêts spécifiques et pour ses populations. Donc la question de la fatalité des ressources minières peut répondre à des contingences beaucoup plus internes du fait de la gouvernance. En Guinée, c’est vrai, nous avons eu pendant un bon bout de temps avec l’exploitation de la bauxite, une faible valeur ajoutée qui n’a pas permis d’impacter de manière profonde et de ruisseler sur beaucoup de secteurs d’activité économique de la Guinée. Ceci dit, c’est un exemple. Mais aujourd’hui, le projet Simandou est un autre épart et au regard de ce qu’on a connu depuis les années 70, nous devons tirer les leçons et savoir que faut-il faire, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire. Et de ce point de vue, avec réalisme et sagesse, on prend en compte cette réalité. Et nous voyons ce qui se passe dans d’autres pays et nous sommes suffisamment conscients de la démarche que nous en train d’engager et de la nécessité d’aller de manière progressive, de manière réaliste en prenant en compte la dimension globale du projet et non pas en recommençant encore à aller dans une logique d’économie de rente qui ne permettra dans une certaine mesure de faire profiter à une fraction assez importante de la population le bénéfice des ressources et des revenus qui sont tirés de là. Ça c’est un exemple. Donc, le corridor du Transguinéen, au-delà de l’aspect minier, sera un corridor où nous ferons en sorte que le secteur privé qui n’est pas tout à fait lié au secteur directement minier, permettra l’éclosion de nouvelles activités.
Et ça permettra de faire en sorte d’encourager la diversification de notre économie. Et de la même manière, les revenus miniers seront gérés de telle manière à protéger l’avenir, pas simplement en mettant des revenus en réserve, mais en investissant dans l’éducation, dans la formation, parce que vaut mieux préparer des générations bien fournies, bien éduquées, pour qu’ils puissent continuer à prospérer, à utiliser les revenus qui vont être, j’allais dire, épargnés pour eux. Donc, nous ferons en sorte, de manière réaliste et de manière sage, de gérer les choses en prenant en compte la dimension globale de l’impact que le projet peut avoir sur l’ensemble de l’économie et aussi sur les pays limitants. C’est la raison pour laquelle nous allons travailler à impliquer les pays comme le Libéria, la Sierra Leone et en partie la Côte d’Ivoire pour que, d’une manière ou d’une autre, qu’il y ait un espace de coprospérité dans les domaines les plus variés et en investissant fortement dans l’agriculture pour marcher sur nos deux jambes, comme disent certains. Donc, je pense qu’avec cela, nous allons éviter les erreurs du passé.
JA : Vous avez révoqué le Transguinéen et son potentiel d’être une artère qui va irriguer l’ensemble de l’économie guinéenne, on l’espère tous. Ce chemin de fer traverse de nombreux districts guinéens. Récemment, des tensions, se sont faits jour entre des communautés locales et des acteurs privés. Un jeune guinéen est mort le 6 mai dernier. Des représailles ont eu lieu ensuite.
Alors, comment faire pour que les communautés locales soient incluses harmonieusement dans ce projet et que ce genre de tensions s’apaisent ?
Amadou Oury Bah : Je pense que la question que vous posez est un fait divers. Quelqu’un est rentré dans un espace qui lui est interdit pour marauder et un garde dans ces circonstances a tiré malencontreusement et la personne est décédée. Et cela a amené des tensions sur le plan local et qui ont été vite résorbées. Cela veut dire que, dans le contexte de la Guinée d’aujourd’hui, il faut qu’on prenne en compte des facteurs qui ne sont pas du tout des facteurs liés au projet Simandou, mais à une situation autre. Nous travaillons à faire en sorte que la cohésion et le vivre ensemble se renforcent. C’est pour cela que les assises nationales ont été organisées. C’est pour cela que, en ce qui concerne les revenus publics, il a été demandé que 20%, pour le moment, des revenus soient investis à l’intérieur du pays. Et ce sont des dépenses qui sont engagées pour compenser, pendant une longue période, le sentiment, pour certaines communautés d’être laissées sur le bas-côté. Donc, dans le contexte actuel, le fonds, comme on l’appelle le Fodel, (le Fonds de Développement Local), qui est mis à la disposition des communautés impactées, que ces communautés se rendent compte l’émergence de sources de revenus dans leur zone constitue des retombées pour ces populations pour améliorer leur sort et aller dans un sens où ils pourront avoir des activités généralistes de revenus. La démarche, elle est encore tout à fait nouvelle. Le contexte politique de manière générale est que dès qu’il y a une fissure, certains intérêts veulent s’y glisser pour créer un sentiment comme quoi la stabilité de la Guinée n’est pas assurée. ainsi de suite, ainsi de suite. Mais tout cela, ce sont des volontés de retarder un processus que, par le passé, les mêmes personnes qui sont en train d’agir dans l’ombre, en tirant les ficelles, n’ont pas réussi à faire prospérer. Donc, dans le contexte où c’est l’intérêt de la Guinée qui entre en jeu, je pense que toutes ces personnes aussi illustres soient-elles, devraient faire prévaloir les intérêts de leur pays et non pas surfer sur le manque d’électricité parfois, des problèmes liant des communautés pour des problèmes fonciers, mais chercher à apaiser. Parce qu’au-delà de tout, le Simandou est un projet structurant pour l’avenir de l’économie guinéenne. Et au-delà de la Guinée, c’est la région qui sera impactée positivement par ce processus pour contribuer à inverser la courbe de la pauvreté et répondre à l’attente des millions et des millions de jeunes qui, pour le moment, ne voyant pas l’aube se lever, cherchent d’autres moyens par l’immigration clandestine pour trouver un eldorado mythique qui n’existe nulle part.
Amadou Diallo