Alors que seuls 17 % des Objectifs de développement durable (ODD) sont sur la bonne voie et qu’il ne reste plus que six ans avant leur échéance en 2030, la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Amina Mohammed, a appelé à une nouvelle ère de leadership source d’inspiration.
Cet appel a été lancé avant l’événement spécial intitulé « Tenir la promesse des ODD : les voies de l’accélération », qui se déroule ce lundi en marge du Forum politique de haut niveau (HLPF) actuellement en cours, et qui vise à remettre les ODD sur les rails et à ne laisser aucun pays de côté.
La rencontre doit donner un coup de pouce aux « initiatives à fort impact » défendues par l’ensemble du système de développement des Nations Unies et aux stratégies d’investissement clés, tout en mettant en avant les pays.
Dasn un entretien exclusif avec Mayra Lopes, d’ONU Info, la numéro deux de l’ONU a mis l’accent sur six domaines de transition clés pour accélérer les ODD qui sont essentiels à leur réussite : les systèmes alimentaires ; l’accès à l’énergie et son caractère abordable ; la connectivité numérique ; l’éducation ; l’emploi et la protection sociale ; et le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution.
L’entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur.
ONU Info : La communauté mondiale se réunit cette semaine à l’occasion du Forum politique de haut niveau. Il nous reste six ans avant l’échéance de 2030 pour les ODD. Quel est votre message aux dirigeants ?
Amina Mohammed : Soyez des leaders. Soyez des leaders pour les gens, pour ce dont ils ont besoin et pour les promesses qui sont faites dans le programme des ODD. Soyez des leaders pour la planète et les choses que nous devons mettre en place pour un monde avec un réchauffement ne dépassant pas 1,5 degré Celsius.
Soyez des leaders et des inspirateurs, qui rendent des comptes à la Charte des Nations Unies. Et venez de l’ONU en sachant que c’est l’endroit où vous entendrez ces voix, ces attentes et ces aspirations. Cela devrait vous donner l’énergie et l’inspiration nécessaires pour repartir et faire ce qu’il faut.
ONU Info : Le système des Nations Unies s’unit autour de ces six transitions clés ou voies d’accélération. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces domaines et nous expliquer pourquoi il est si important de ne laisser personne de côté ?
Amina Mohammed : Les États membres nous ont donné des ordres très clairs lorsqu’ils ont pris conscience de l’ampleur du retard pris dans la réalisation des Objectifs du développement durable l’année dernière.
Ce n’est pas un bon résultat. Et pour cela, nous avons dû nous demander comment obtenir des ressources pour soutenir des investissements qui permettraient d’atteindre les 17 objectifs de développement durable.
Nous avons donc clarifié ce que pourraient être ces investissements. Les entreprises viendraient, le secteur public est déjà là, nous pourrions passer à l’échelle supérieure, les Nations Unies pourraient se repositionner pour aider à accompagner les pays dans cette voie.
S’agissant des systèmes alimentaires, nous avons ressenti l’impact de la COVID-19 et de son impact perturbateur sur le monde. Nous avons ressenti directement l’impact de la guerre en Ukraine sur les systèmes alimentaires. Nous avons bien sûr réagi en lançant l’initiative sur les céréales de la mer Noire, qui a permis de sauver de nombreuses vies.
Mais je pense qu’il était évident que nous pouvions faire plus. Et la dépendance à l’égard des autres n’était pas toujours la meilleure solution.
Le deuxième point concerne les transitions en matière d’énergie. Comment faire en sorte que l’énergie parvienne à tout le monde ? Concernant l’accès à l’énergie, que ce soit pour faire la cuisine ou pour l’éducation et la santé, il n’est pas nécessaire que tout soit relié au réseau. Nous pouvons trouver des mini-réseaux qui alimentent des communautés entières.
Le troisième point concerne la connectivité. Bien sûr, les nouvelles technologies sont là. Comment connecter les gens ? Et dans ce cas précis, pour quoi faire ? Et bien, pour les services financiers destinés aux femmes, tout d’abord, nous voulons nous assurer qu’elles peuvent joindre le monde sans quitter leur village, grâce au commerce électronique.
Et puis nous avons aussi pensé que l’éducation n’était pas en bonne place. Ce n’est pas la transformation de l’éducation que nous voulons réaliser du jour au lendemain. C’est la finalité de ce que vous voulez y mettre. Mais quelle est la première chose à laquelle il faut peut-être prêter attention ?
Les jeunes sont sans emploi. Ils n’ont pas reçu l’éducation qu’ils auraient dû recevoir. Vous voulez donc les mettre en contact avec les marchés. Et pour ce faire, si vous œuvrez à la transformation des compétences, il s’agit de savoir comment y arriver en utilisant la technologie, en faisant mieux et de façon plus équitable. Il faut combler les fossés qui existent aujourd’hui.
Et puis, pour replacer tout cela dans son contexte, je pense à deux choses importantes : la résilience des gens qui doit être soutenue par un socle de protection sociale. Une fois que vous avez une certaine résilience, vous pouvez vous assurer que lorsque vous avez des coups durs comme la COVID-19, les gens ne sont pas déstabilisés.
Enfin, l’environnement favorable deviendra plus difficile si nous ne prenons pas conscience de ce que nous appelons la triple crise : le climat, la biodiversité et la pollution.
ONU Info : Je voudrais aborder la question de l’innovation numérique. Je voulais savoir si vous êtes optimiste et comment vous pensez que nous pouvons tirer parti de cette nouvelle technologie ?
Amina Mohammed : J’ai rencontré récemment à la Barbade, l’homme qui a conçu le moteur de recherche, le tout premier que nous avons appelé « Archie ». Je lui ai demandé ce qu’il pensait de cette nouvelle ère technologique. Il m’a répondu : « C’est très excitant, c’est très effrayant et nous ne sommes pas prêts ». Et je me suis dit que cela reflétait probablement la réalité.
Le Secrétaire général a présenté sa proposition pour le Sommet du futur sur la mise en place de garde-fous. Il y a un côté sombre, mais il y a tellement d’opportunités, et je pense que cette structure nous aidera à être plus sûrs.
Elle nous aidera à aller plus loin dans un monde qui est connecté et nous devons agir sur la gouvernance, sur la manière dont la technologie est utilisée, si ce sont des algorithmes qui sont conçus, qui ont des préjugés contre les femmes.
Mais je pense que ce qui est le plus important, c’est ce que je lui ai dit : « Est-ce que c’est comme passer du cheval et de la charrette au moteur à combustion lorsque nous nous sommes industrialisés ? » Et il m’a répondu : « Non, c’est bien plus que cela, parce que vous parlez de changer les sociétés et la façon dont nous faisons les choses ». Nous ne serons plus jamais les mêmes parce que nous serons beaucoup plus connectés.
ONU Info : Nous parlons beaucoup de l’accélération des ODD, mais nous avons un contexte très difficile en ce moment avec les guerres et les tensions mondiales. Comment pourrions-nous quand même promouvoir l’accélération des ODD dans ce contexte ?
Amina Mohammed : Je reviens à votre première question. Nous avons besoin de leadership. Nous avons besoin de leadership à tous les niveaux. Il ne s’agit pas seulement du président d’un pays, mais de tous les groupes, des entreprises, de la société civile, des jeunes.
C’est un élément clé qui devrait nous donner de l’espoir. Faire renaître les Nations Unies, afin que les voix ne soient pas seulement entendues, mais qu’elles soient prises en compte.
Nous n’avons pas tous le même poids dans cette salle, mais nous avons une voix, et nous pouvons nous exprimer.
Ce qui est peut-être plus important à mes yeux, c’est la manière dont nous trouvons les ressources pour l’agenda du développement, pour la paix et pour la sécurité. Mais pas la sécurité dans le sens où nous payons pour la guerre, mais la sécurité dans le sens où nous investissons dans la prévention, c’est-à-dire dans le développement.
Nous nous trouvons dans un système qui a été conçu après la Seconde Guerre mondiale. pour ne plus jamais connaître le fléau de la guerre.
Et les principes que nous avons appliqués à l’époque, à savoir que les gens doivent avoir accès aux ressources pour reconstruire leur vie, sont exactement les mêmes que ceux que nous devons appliquer aujourd’hui pour dire qu’il faut un financement à long terme pour le développement, où que l’on soit dans le monde.
J’espère que l’accélération se produira parce que nous comprendrons tous qu’il existe une menace existentielle avec le réchauffement climatique et que les gens ne resteront plus en marge.
La façon dont ils réagiront dépendra de l’injustice dont ils pensent être victimes de la part de leurs dirigeants locaux, nationaux et internationaux. Les jeunes sont pleins d’énergie. Ils sont anxieux parce qu’ils ne voient pas d’avenir.
J’ai espoir que nous n’avons jamais été aussi bien équipés en ressources pour faire ce qu’il faut. Nous disposons d’un cadre extraordinaire pour y parvenir grâce aux Objectifs de développement durable. Je pense que nous devrions nous lever et parcourir ce dernier kilomètre pour tenir la promesse des Objectifs pour le développement durable.