ENTRETIEN – Le chef de l’ONU appelle à la solidarité, à la coopération et à l’unité face aux défis mondiaux

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Photo ONU/Mark Garten
Le Secrétaire général de l’ONU António Guterres près d’Istanbul pour observer le navire Brave Commander qui participe l’initiatve céréalière de la mer Noirde.

Dans un entretien accordé à ONU Info juste avant la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale, António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, en appelle à la solidarité des acteurs internationaux pour relever les défis mondiaux pressants, allant du changement climatique à la guerre en Ukraine, et à la montée des inégalités et à une transformation nécessaire des systèmes éducatifs.

Pour résoudre ces problèmes cruciaux, « nous devons changer de cap, déclare-t-il. Nous avons besoin d’unité, nous avons besoin de coopération, nous avons besoin de dialogue, et les clivages géopolitiques actuels ne le permettent pas ».

Revenu depuis peu du Pakistan, frappé par de terribles inondations, le Secrétaire général a déploré que le changement climatique soit sorti des priorités de nombreux décideurs à travers le monde, ce qui, à ses yeux, représente « un suicide ».

Quant à l’éducation, objet d’un sommet consacré à sa transformation mondiale, qu’il considère comme la clé de la compréhension du changement climatique et de la réduction des inégalités, elle est victime, à contretemps, de réductions de budgets et doit selon lui bénéficier d’un élan de solidarité internationale pour son financement.

Le Secrétaire général a aussi rappelé les vertus de la « diplomatie discrète, plutôt que celle du mégaphone », illustrées par la réussite de l’accord sur les exportations de céréales via la mer Noire avec l’aide de l’ONU durant la guerre en Ukraine, et s’est dit déterminé « à faire comprendre au monde que les énormes défis ne peuvent être relevés qu’avec solidarité, coopération et unité ».

Inondations dans la province du Sindh, dans le sud du Pakistan.
Photo ONU/Eskinder Debebe
Inondations dans la province du Sindh, dans le sud du Pakistan.

ONU Info : Vous venez de rentrer du Pakistan où vous avez visité des zones touchées par une catastrophe liée au climat. Nous sommes maintenant alarmés par la sécheresse et la possible famine qui menace la Somalie. Que voulez-vous dire à ceux qui nient encore que le changement climatique est réel – ne l’ignorons-nous pas à nos risques et périls ?

António Guterres : Eh bien, le changement climatique est le problème déterminant de notre époque. Et je suis extrêmement inquiet car avec la guerre en Ukraine et plusieurs autres événements, le changement climatique semble être sorti des priorités de nombreux décideurs à travers le monde. Et c’est un suicide. Nous voyons les émissions augmenter et nous voyons les combustibles fossiles redevenir à la mode [même si] nous savons que les combustibles fossiles sont la principale [cause] de la guerre constante contre la nature que nous avons menée [tout au long] de notre histoire.

Il est absolument essentiel de réduire les émissions dès maintenant. Et malheureusement, alors que nous devrions pouvoir réduire de 45 % les émissions [d’ici] 2030, nous sommes [au lieu de cela, confrontés] à une augmentation des émissions [de] 14 % en 2030. Nous devons donc absolument inverser cette tendance. Nous nous dirigeons vers une situation catastrophique, et nous n’avons pas beaucoup de temps pour renverser la vapeur.

Et en même temps, quand on regarde le Pakistan, le niveau de destruction et une zone inondée qui est trois fois la [taille] de mon pays [le Portugal], nous devons accroître le soutien aux pays en développement, non seulement dans la réduction des émissions, mais dans le renforcement de la résilience, dans la construction de l’infrastructure durable nécessaire pour que ces pays puissent [résister] aux impacts qui les dévastent déjà. La plupart des points chauds [climatiques] dans le monde [sont] des pays qui n’ont pas contribué de manière significative au changement climatique.

Nargiz Shekinskaya d'ONU Info réalise un entretien avec le Secrétaire général de l'ONU,  António Guterres.
Photo ONU/Mark Garten
Nargiz Shekinskaya d’ONU Info réalise un entretien avec le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres.

ONU Info : Chaque année, nous inaugurons une nouvelle session de l’Assemblée générale, souvent considérée comme un moment fort de l’année pour les Nations Unies. Quel est votre objectif pour l’AG de cette année, la première depuis la pandémie lorsque nous nous réunissons en personne et avec une guerre majeure en Europe détournant l’attention d’autres priorités pour le monde ?

António Guterres : Mon objectif est de faire comprendre que les divisions géopolitiques auxquelles nous assistons aujourd’hui sont terribles. Alors que le monde est confronté au changement climatique, alors que le monde est confronté à la perspective d’autres pandémies et que la COVID-19 n’est pas encore résolue, alors que le monde est confronté à de fortes inégalités entre les pays développés et les pays en développement, et à d’énormes inégalités au sein des pays, alors que le monde doit vraiment changer de direction sur tous ces aspects,  nous avons besoin d’unité, nous avons besoin de coopération, nous avons besoin de dialogue, et les clivages géopolitiques actuels ne le permettent pas. Nous devons changer de cap.

ONU Info : La guerre en Ukraine a déclenché l’une des crises de réfugiés les plus rapides et les plus importantes de l’histoire. Kÿiv [la capitale ukrainienne] a été bombardée alors que vous visitiez le pays. En quoi cette crise diffère-t-elle de bien d’autres que vous avez connues en tant que Haut-Commissaire aux réfugiés et plus tard en tant que Secrétaire général de l’ONU ?

António Guterres : La plupart des crises dont j’ai été témoin sont des crises dans les pays en développement, des pays relativement pauvres, et la plupart d’entre elles sont internes, même s’il y a eu intervention [de] puissances extérieures. Elles sont devenues des guerres civiles ou ont résulté d’activités terroristes à l’intérieur du pays. Nous assistons maintenant à une guerre entre une superpuissance et l’Ukraine qui est aussi un pays moderne. Et nous parlons de niveaux de dévastation qui ne pourraient avoir lieu si la nature des armements et les capacités militaires en place étaient complètement différentes.

Il s’agit donc bien, une fois de plus, d’une guerre entre deux États, créée par l’invasion d’un État par un autre, avec des niveaux d’armement et des niveaux de mobilisation de forces sans précédent ces derniers temps. D’autre part, nous assistons au mouvement le plus rapide de réfugiés et de personnes déplacées de l’histoire récente, avec de terribles conséquences humanitaires.

ONU Info : Vous avez organisé un grand rassemblement pour examiner la transformation de l’éducation qui a souffert dans tant de pays. Vous êtes soucieux de trouver des réponses au ralentissement économique qui s’est traduit par une baisse massive des progrès en matière de développement durable. Dans un contexte de tensions géopolitiques majeures, quel est votre meilleur scénario pour progresser sur ces fronts ?

António Guterres : Si je devais choisir une chose pour améliorer la situation mondiale, la paix et la sécurité, ce serait l’éducation. Si je devais choisir une chose pour améliorer la capacité de compréhension du changement climatique et la réponse au changement climatique, ce serait l’éducation. Quand je regarde tout ce qui pourrait réduire les inégalités dans le monde, ce serait l’éducation. Mais malheureusement, nous le constatons, avec la situation dramatique que nous connaissons aujourd’hui dans le monde – la guerre contre le climat, les pandémies -, nous assistons à la réduction des budgets de l’éducation.

Et donc, le sommet sur [la transformation] de l’éducation est un moment pour mobiliser toute la communauté internationale pour faire comprendre aux pays qu’ils doivent investir beaucoup plus dans l’éducation, et pour faire comprendre aux pays développés qu’ils doivent amplifier, avec les institutions financières internationales, le soutien aux pays en développement pour qu’ils puissent investir dans l’éducation.

Nous avons lancé la Facilité internationale de financement de l’éducation avec Gordon Brown, et j’espère que cette facilité sera rapidement financée par tous les donateurs afin de vraiment faire la différence pour les populations les plus vulnérables du monde.

ONU Info : L’Initiative céréalières de la mer Noire a déjà vu près de trois millions de tonnes de nourriture en provenance d’Ukraine partir vers des destinations à travers le monde, contribuant à atténuer la crise alimentaire et à sauver des vies. Quels sont certains des éléments essentiels de cette réussite ? Dans quelle mesure êtes-vous optimiste quant à la possibilité d’appliquer cette formule à d’autres situations compliquées ?

António Guterres : Cela a démontré que la diplomatie discrète est encore capable de réaliser ce que la diplomatie mégaphone ne fait pas. Cet accord n’aurait pas été possible si nous n’avions pas travaillé avec persévérance pour le faire avec discrétion, en évitant la création de situations dans lesquelles inévitablement les deux parties commencent à se battre. Et c’est, je dirais, la recette de nombreuses crises dans le monde. Faisons tout notre possible pour rétablir l’importance de la diplomatie discrète dans la résolution des crises dans le monde d’aujourd’hui.

ONU Info : Les droits de l’homme ont toujours été l’un des piliers du travail de l’ONU. Vous avez signalé les dangers posés par la montée des discours de haine, la xénophobie et le nationalisme populiste. Pourquoi cela se produit-il et qu’est-ce qui, d’autre part, vous donne de l’espoir ?

António Guterres : Eh bien, ces choses ont toujours existé, mais elles sont maintenant immensément amplifiées par les médias sociaux et par toutes les plateformes [informatiques] qui existent dans le monde.

En revanche, lorsque les pays rencontrent des difficultés à résoudre leurs problèmes, le nationalisme, la xénophobie, la recherche de boucs émissaires, [le ciblage] des étrangers font malheureusement partie des choses qui deviennent de plus en plus fréquentes. Nous devons comprendre que les droits de l’homme doivent unir – unir les communautés, unir les pays. Que le racisme et la xénophobie sont deux manifestations de haine absolument inacceptables que nous devons… éliminer dans notre monde.

ONU Info : Depuis longtemps, vous exprimez des inquiétudes face à un monde qui évolue dans le sens de la polarisation, ce que vous avez appelé la « grande fracture ». En tant que Secrétaire général, il est évident que cette réalité politique rend votre travail plus difficile. Que pouvez-vous faire pour rassembler le monde ?

António Guterres : Je n’ai pas le pouvoir de faire des miracles. Ce que nous pouvons faire, c’est être déterminés à utiliser au maximum les instruments à notre disposition – bons offices, médiation – et tout mettre en œuvre pour faire comprendre au monde que les énormes défis auxquels nous sommes confrontés ne peuvent être relevés qu’avec solidarité et avec coopération et unité.

ONU Info : À cette époque l’année dernière, la COVID-19 semblait être la plus grande crise mondiale que nous traversions tous, ayant un impact sur l’Assemblée générale et les opérations de l’ONU. Que devraient faire les gouvernements et l’ONU pour que la santé publique demeure une priorité ?

António Guterres : Tout d’abord, il est très important de résoudre les problèmes de vaccination là où ces problèmes existent encore. Et c’est quelque chose qui mobilise tout le système onusien. Et deuxièmement, il est absolument essentiel de fournir aux pays qui ont été touchés par la COVID-19 … et qui sont aujourd’hui dans une situation désespérée, sans espace budgétaire, des mécanismes d’allègement de la dette, des mécanismes d’apport de liquidités aux pays en développement les plus [sous pression], y compris les pays à revenu intermédiaire, afin qu’ils puissent se redresser.

Quand on a vu que les pays les plus riches étaient capables d’imprimer des milliards voire des milliers de milliards pour relancer leurs économies, malheureusement, les pays en développement ne pouvaient pas faire de même… leurs devises s’effondreraient bien sûr. Ainsi, la solidarité internationale doit être rétablie.

ONU Info : Alors que vous entamez votre deuxième mandat, comment aimeriez-vous que l’ONU soit à la hauteur de son objectif ? Quelle est la plus grande réforme que vous aimeriez voir se produire si vous pouviez faire ce que vous voulez ?

António Guterres : Nous avons lancé Notre Programme commun. Notre Programme commun est une série de projets, d’idées, de propositions, dont l’objectif est de rendre l’ONU beaucoup plus efficace, et en même temps de rétablir le multilatéralisme comme moyen de résoudre les problèmes du monde. Mon objectif principal est de [faire] élaborer et adopter Notre Programme commun par les États membres et de le transformer en l’instrument principal dont nous disposons pour soutenir le Programme 2030 et les objectifs de développement durable (ODD) afin de pouvoir apporter plus de paix, plus de développement, plus de justice et le respect effectif des droits de l’homme dans le monde.

ONU Info : Compte tenu de l’importance que vous accordez à la parité entre les sexes et à l’engagement des jeunes, que ferez-vous pour assurer votre héritage à cet égard ? Vous souhaitez voir une jeune femme vous succéder ?

António Guterres : Tout d’abord, nous avons déjà atteint la parité en ce qui concerne la haute direction de l’ONU, environ 200 hauts dirigeants. Nous avons la parité parmi les coordonnateurs résidents, c’est-à-dire les coordonnateurs des activités de l’ONU dans les différents pays du monde. Et nous nous dirigeons vers l’objectif de parité en 2028 à tous les niveaux du travail des Nations Unies.

D’autre part, nous avons intégré le genre dans toutes les politiques de l’ONU, dans toutes les actions de toutes les agences et dans tout le travail que nous faisons. À propos du Secrétaire général, je suis désolé. Je ne suis pas une femme. Mais je vois bien sûr, avec beaucoup d’intérêt et de sympathie, la possibilité d’avoir des femmes non seulement comme Secrétaire général des Nations Unies, mais comme dirigeantes des pays les plus importants du monde.

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