« La dynamique enclenchée au niveau du secteur minier en général doit être soutenue et protégée »
Ancien ministre des Mines et de la Géologie, Ahmed Kanté est aujourd’hui administrateur d’une entreprise minière privée, spécialisée dans l’exploitation de la bauxite. De la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), où il a exercé comme Directeur Général, au poste de ministre des Mines, pour occuper ensuite les postes de directeur national des Impôts et plus tard de directeur général de la Société guinéenne du patrimoine minier (SOGUIPAMI), l’homme traîne une longue expérience et surtout une réputation de rigueur dans la gestion des affaires publiques. Dans cet entretien, il revient sur les grands défis du secteur minier guinéen.
WESTAF MINING (WAM) : Comment se porte, selon vous, en quelques mots, le secteur minier guinéen ?
Ahmed Kanté (AK) : Durant cette dernière décennie (2011-2021), le secteur minier guinéen a connu de profondes évolutions. Sur le plan légal et institutionnel, des changements ont été opérés. Il y a eu la révision du code minier, le patrimoine minier a été défini et sa gestion confiée à une société d’Etat (SOGUIPAMI).
A la suite de la fermeture de l’Indonésie à l’export de la bauxite et plus tard de la Malaisie, un géant minier a fait son entrée en Afrique de l’ouest, le Chinois Weiqao, et le plus grand transporteur de minerai, d’origine singapourienne, Winning, qui, en association avec UMS, ont créé la Société minière de Boké (SMB).
Ce bouleversement inattendu est intervenu après 42 ans pendant lesquelles il n’y avait eu aucune nouvelle mine de bauxite en exploitation en République de Guinée.
La SMB est venue inaugurer ce qui apparaissait comme une exploitation semi-industrielle. Transport par camionnage, exploitation près du fleuve pour remplir des barges qui font le transbordement en haute mer. Durant cette période, il y a eu une augmentation fulgurante de la production de la bauxite. La Guinée, avec 80 millions de tonnes, s’est classée deuxième, derrière l’Australie et certainement pas pour longtemps.
WAM : Quelle pourrait être la suite d’une telle dynamique ?
AK : La Guinée pourrait avoir pour objectif de faire son plein d’exploitation de la bauxite et de développer parallèlement la transformation sur place de ce minerai dont elle est la plus grande réserve au monde. A propos de l’or, il est certain que, là également, les statistiques se sont envolées, avec une production record en 2020 qui avoisine les 105 tonnes, dont les 80% proviennent de l’exploitation artisanale.
Dans le secteur du fer, il y a eu une forte évolution avec le dénouement heureux de l’affaire BSGR et l’organisation d’un appel d’offres international ayant permis à la société SMB-WINNING de se positionner sur les blocs 1 et 2 du Simandou.
Cette société a entamé au pas de charge la réalisation de l’infrastructure clé qui est le chemin de fer, à travers le démarrage de l’ouverture de tunnels. Ce projet est aussi bien important par la valeur de l’investissement, jamais injecté dans le pays (16 milliards USD), que par son contenu puisqu’il englobe, à travers ses infrastructures, l’exportation du minerai de fer, mais aussi l’implantation d’une aciérie.
A travers tous ces acquis, il est certain que se profile l’amélioration des conditions de vie des Guinéens sous réserve que la gouvernance qui sied oriente les énormes ressources qui seront produites dans le canal du développement tous azimuts du pays.
Il est évident que même dans cette phase, l’un des enjeux majeurs est la prise en compte des besoins des communautés hôtes de ces projets, mais aussi et surtout le développement de leur contenu national, pour ne pas dire local.
WAM : Récemment, on a assisté à l’augmentation des prix de l’aluminium. Quel a été l’impact d’un tel phénomène sur les producteurs de bauxite en Guinée ?
AK : Dans le jargon minier, cette explosion des prix de l’aluminium est attribuée à « l’effet Guinée », avec le changement intervenu dans le pays le 05 septembre 2021. Cela a fait évoluer les prix de l’aluminium de 2600 USD à 3000 USD, moins de 10 jours après le putsch.
Cette explosion du prix de l’aluminium, pour l’essentiel profitable aux sociétés productrices d’aluminium, pose dans toute sa complexité la problématique de l’exploitation de la bauxite en Guinée.
Si l’aluminium a pris tout d’un coup près de 300 à 400 USD de plus, la bauxite, elle, est passée à moins de 45 à 52 voire 53 USD. Cette augmentation autour de 07 à 08 USD a été plombée par la flambée du prix du transports qui, eux, sont passés de 20 à 33 USD. C’est vrai, qu’à ce stade, ce qui apparait comme étant un succès pour toute la filière cause des pertes aux sociétés non intégrées, c’est à dire productrices uniquement de bauxite.
Il ne faut pas perdre de vue que les sociétés non intégrées subissent alors dans un effet de ciseaux qui peut leur être fatal, l’augmentation de la taxe à l’exportation, liée au prix de l’aluminium qu’elles ne produisent pas, et l’augmentation du fret qui absorbe celle du prix de la bauxite : d´où une perte sèche de 6$/T et une perte actualisée à date de 8 à 10$ .
Quand on sait que pour l’exploitation de ce minerai, dont la Guinée détient les plus grandes réserves au monde, la seule entrée possible des nationaux est l’exploitation semi-industrielle de la bauxite, il est alors utile que l’Etat se penche sur les mesures fiscales à prendre et sur les dispositions à mettre en place au niveau du transport par barges afin de conforter les marges des sociétés productrices de bauxite.
N’oublions pas que nous ne sommes que producteurs de bauxite et, dans une mesure anecdotique, d’alumine avec Friguia.
WAM : Donc selon vous, il serait nécessaire de revoir le système de taxation pour permettre aux opérateurs du secteur de la bauxite d’afficher de meilleures ambitions…
AK : Sur le plan fiscal, il s’agit de moduler la taxation au niveau du produit final de chacun des exportateurs de bauxite. La formule actuelle sied pour les sociétés intégrées, donc présentes sur l’ensemble de la chaîne bauxite-alumine-aluminium, parce que historiquement tous les codes miniers ont été élaborés au moment où ces acteurs étaient les seuls exploitants de bauxite en Guinée.
Maintenant qu’il y a une 2ième catégorie d´ opérateurs qui sont non intégrés et autonomes, il y a lieu de revoir la fiscalité en l’alignant sur leur produit final de chaque catégorie. En plus de la fiscalité, l’Etat doit soutenir ces acteurs non intégrés en intervenant dans le transport par barges et dans le transhipment en encourageant la Société Navale Guinéenne pour l’achat et l’opération de ses équipements, surtout que le retour sur investissement est garanti par le transport de la totalité de la production des sociétés non intégrées qui avoisinerait 20 millions de tonnes, à un prix compétitif.
Aucune société non intégrée, individuellement, ne peut avoir un prix compétitif avec sa petite production.
WAM : La production d’or a spectaculairement augmenté en 2020, en dépit de la situation liée à la pandémie de Covid-19, mais on a l’impression que la Guinée ne tire pas de grands bénéfices de la dynamique créée dans ce secteur. Quelle est votre analyse de cette situation ?
AK : C’est déjà un fait positif que la production d’or ait augmenté et que 80% de ce volume soit produit par les orpailleurs traditionnels. C’est l’activité minière la plus populaire et en valeur, les orpailleurs sont de loin les premiers miniers en Guinée : la valeur globale de l´or artisanale exportée correspond au prix FOB de 200 millions de tonnes de bauxite. Malheureusement, son rôle hautement stratégique n’a jusqu’à présent pas été exploité par l’institution d’émission de la République de Guinée, la Banque Centrale.
Je rappellerais tout simplement que la contrepartie initiale de l’émission des billets de banque était l’or. L’augmentation des échanges et de toutes leurs conséquences sur les marchés financiers ont fait que le relais des billets de banque a été pris par l’émission des bons du trésor (surtout américains) qui permet aux Etats-Unis de financer leur déficit et d’étendre par là-même l’emprise du dollar sur le reste du monde.
Il est incompréhensible que la Guinée, avec une production privée de près de 80 tonnes d’or brut en 2020, se débatte dans des besoins de financement au point que même des dons de moins de 10.000 USD font l’objet d’une publicité tapageuse. Alors que plusieurs milliards USD, qui auraient pu être encaissés par la BCRG alimentent silencieusement une hémorragie financière qui ne dit pas son nom.
En nous référant à la valeur de l’accord transactionnel avec Rio Tinto, les 700 millions USD équivalent à la valeur de 12,5 tonnes. La production annuelle actuelle représente plus de six fois la valeur de cet accord transactionnel qui a permis de donner des couleurs au premier mandat de la quatrième République.
Ces 80 tonnes d’or équivalent à peu près à 4,5 milliards USD. Rien qu’en vendant à la Banque Centrale les 2/3 de cette manne, soit l’équivalent de 50 tonnes d’or, la BCRG renforcerait ses réserves de change de près de 2,8 milliards par an. Il est évident que, tout comme les perspectives de développement du secteur minier, la valorisation de cette démarche passe par la bonne gouvernance à travers l’utilisation judicieuse de cette manne dans le cadre de l’amélioration des conditions de vie dans notre pays.
WAM : L’un des projets phares en Guinée est l’exploitation des réserves du Simandou. Quelle lecture faite vous de ce qui s’est fait jusqu’à date ?
AK : Le projet du Simandou est un projet extrêmement important, comme je l’ai souligné plus haut. Cette importance se mesure à la valeur de l’investissement, mais aussi par sa composante industrielle qui est l’aciérie pour 1 milliard USD.
L’atteinte de ce double objectif (minerai de fer et l’aciérie) marquerait le premier pas vers l’industrialisation intégrée de la République de Guinée. Sa réalisation aussi créera la plus grande infrastructure ferroviaire dans le pays avec le Transguinéen et le plus grand port en eau profonde la sous-région.
La dynamique enclenchée au niveau du secteur minier en général, de l’exploitation de la bauxite, de l’or et du minerai doit être soutenue et protégée. Pour le cas du minerai de fer, je dirais en particulier que la Guinée ne devrait pas faire les frais de la rivalité entre l’Australie et la Chine. Ces derniers temps, la relance du projet du Simandou Nord (Blocs 1 et 2) a réveillé de son lourd sommeil le projet du Simandou Sud (Blocs 3 et 4).
L’un des protagonistes était pourtant là de longue date. Ne laissons pas la proie pour l’ombre, même s’il est nécessaire de toiletter le bébé, gardons-nous de le jeter avec l’eau du bain.
WAM : Un dernier mot…
La Guinée avance. Le drame est qu’elle avance plus vite que les Guinéens que nous sommes. Il est important que nous prenions conscience de nos forces et de nos faiblesses pour nous engager, sans complexe, dans la construction de notre pays, et à notre profit.
Il faudra dans ce cadre relever les défis intellectuels, techniques et technologiques qui sont nécessaires à l’exploitation des immenses ressources naturelles dont dispose notre pays. Les connaître, savoir les évaluer, nous fera rentrer dans la cour des grands.
L’affectation de ces ressources à l´aménagement du territoire, au développement de véritables centres urbains, à la création d´infrastructures et de services au profit des populations permettra de concrétiser le contenu national pour ne pas dire de l´essor du secteur minier. Le développement d´activités pérennes en particulier l’agriculture des cultures vivrières et l´agriculture industrie poseront les premiers jalons de l’après mine.
Personnellement, je rêve d’une Guinée où le prix de la bauxite et peut-être du minerai de fer se fixerait en Guinée au profit de ses populations et des bons investisseurs. La Guinée de demain est celle des raffineries, des fonderies et des aciéries avec une pensée spéciale pour la raffinerie d´or monétaire avec un poinçon Guinée qui renforcera les réserves de change de la BCRG tout en crédibilité notre monnaie nationale, le tout pour le bien des populations guineennes.
Propos recueillis par Westaf Mining